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La plume heureuse
15 juillet 2005

La carte de membre

Un temps, j’eus une manière de conscience politique.

Elle s’éveilla, je pense, le jour de l’assassinat du président Kennedy; j’avais huit ans et je pus rester debout, devant la télé, aussi tard que les adultes. Elle s’endormit, comme la Belle au bois, vers la fin de ma première année au cégep de Sainte-Foy; j'avais assisté à la nuit du cinéma, mais ne voyez là qu’un subtil effet de symétrie.

Après avoir été sympathisante du Crédit social, à quatorze ans je devins souverainiste.

Il y eut des élections, aux résultats désolants pour M. Lévesque et son équipe. Les haussements d’épaules, les sourires en coin du chef, l’embarras avec lequel il accueillait applaudissements et acclamations, et puis les chaudes accolades que se donnaient ses collaborateurs, avec quelle émotion je regardais tout cela. À part moi, j’établis alors des rapprochements audacieux, mais combien exaltants, avec des scènes de Quo vadis? et de Fabiola ou l’Église des catacombes.

J’écrivis à M. Lévesque. Je lui dis de ne pas se décourager; j’exprimai le regret que mon jeune âge ne me permît pas d’adhérer au parti. Je reçus une réponse avec, au bas, deux lignes manuscrites signées «RL» : La carte de membre, c’est moins important que d’approfondir vos convictions et de les rendre «contagieuses»!

Mes convictions..., il n’a pas fallu creuser jusqu’en Chine pour en dégager la substance : mieux vaut m’occuper de grammaire que de politique.

* * * * *

  • Des travailleurs d’élections et des hommes d’affaires véreux contournent les législations québécoises et fédérales sur le financement des partis.

Une société a besoin de lois, c’est entendu; et l’ensemble des lois en vigueur dans un État, ou dans un domaine déterminé, cela constitue la législation. Il ne saurait donc exister plusieurs législations québécoises – ni plusieurs législations fédérales – sur le financement des partis, tous les citoyens étant soumis, en principe, aux mêmes lois; les deux adjectifs, ici, devraient être au singulier, bien qu’ils se rapportent à un nom pluriel :

  • [...] les législations québécoise et fédérale sur le financement des partis.

* * * * *

Après les scandales récents, est-il possible d’imaginer un politicien encore capable d’écrire à la main cette phrase désintéressée que l’on adressa, un jour, à une campagnarde de quatorze ans?

Vous me ferez observer qu’on aurait pu s’abstenir de guillemeter contagieuses. Mais il y a des scrupules qui honorent.

Line Gingras

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5 juillet 2005

... ou rester là

C’était un matin d’octobre; il faisait noir.

Doucement, un peu penchée à cause de la valise, je suis passée sous la tour de l’Horloge; devant la basilique, et puis le campanile, et puis le palais des Doges; j’ai suivi un moment le quai où des gondoles étaient au repos. À l’embarcadère de la coopérative San Marco j’allais prendre la première navette de la journée, celle qui me permettrait, on me l’avait assuré, d’attraper mon avion de 7 h 5 pour Rome.

La queue était longue. Devant nous, deux bateaux. On entassait les passagers dans le plus petit; lorsqu’il a été plein, on s’est rendu compte qu’il ne suffisait pas. Alors on a fait monter dans le grand les derniers arrivés; ensuite on a transbordé les autres, avec leurs valises. Et nous sommes partis avec trois quarts d’heure de retard.

Non, je n’ai pas quitté Venise, cette première fois, à l’arrière d’un vaporetto de la ligne 1; je n’ai pas vu défiler à reculons, avec la lenteur et la solennité requises, les palais endormis. Nous avons traversé l’Arsenal. Après San Michele nous avons longé les fabriques de Murano, puis quelques îlots avec des ruines. Pour tromper mon inquiétude, j’ai causé avec un marchand de verre qui s’était rendu quelquefois à Toronto.

Nous avons accosté. J’ai fini par sortir du bateau, par trouver la bonne queue, par obtenir ma carte d’embarquement. Maintenant il est plus de 7 h et je retarde l’avion. Une agente impatientée m’accompagne jusqu’à la porte, me fait signe de prendre cet avion-là, m’enjoint de me hâter; or il y a deux appareils à égale distance, de la même taille et de la même compagnie aérienne – et son geste impérieux tombe juste entre les deux.

Lequel, donc? Je sais que l’un va à Rome, l’autre à Milan. J’avance de quelques pas. Un instant j’envisage de tenter ma chance, de monter dans l’appareil de droite et, là-haut... Non.

Placée devant cette double et doublement invraisemblable alternative (l’avion de gauche ou celui de droite? tenter ma chance ou avouer mon incertitude?), j’aurais pu avoir, presque, l’embarras du choix, si seulement j’avais eu le choix. Pourquoi donc les avions n’affichent-ils pas leur destination, comme les autobus?

* * * * *

Malgré tout nous voici arrivés (bien entendu, ce nouveau nous ne représente plus les passagers – c’était le cas lorsque nous étions à Venise –, mais vous et moi, cher lecteur, il est plaisant de le préciser) à la question du jour, je dirai même au choix du jour.

Avoir le choix, nous venons de le voir, c’est avoir la liberté, la possibilité de choisir. Le choix, c’est aussi l’«action de choisir», la «décision par laquelle on donne la préférence à une chose, une possibilité en écartant les autres» (ces définitions, comme les suivantes sauf la dernière, sont tirées du Petit Robert) :

Notre choix s’est porté sur une croisière en Méditerranée.

Le mot signifie en outre «existence de plusieurs partis entre lesquels choisir», «ensemble de choses parmi lesquelles on peut choisir» :

Au marché By, il y a un très beau choix de fruits et légumes.

Ou encore «ensemble de choses choisies pour leurs qualités», «ce qui est choisi» (Lexis) :

On vient de faire paraître un choix de poésies de cet auteur méconnu.

La poire de préférence aux profiteroles, ç’aurait été un choix raisonnable.

D’après le résultat de mes recherches, il ne désigne pas, comme l’anglais choice, l’une ou l’autre des possibilités, des solutions, des voies offertes, l’une ou l’autre des choses ou des personnes entre lesquelles on peut choisir. Dans les phrases suivantes, l’emploi de choix – par ailleurs facile à éviter – serait donc un calque de l’anglais :

Les députés ont été mis en face de deux choix : voter en faveur de l’égalité de tous les citoyens ou cautionner la discrimination.

Après toutes ces circonlocutions, Paul Martin n’avait plus d’autre choix que d’aller de l’avant.

Certes, la tournure ne pas avoir d’autre choix se rencontre souvent. Je ne l’ai cependant pas trouvée dans les dictionnaires que j’ai sous la main. Comme j’ai consulté notamment le Petit Robert, le Lexis, le Hanse, le Multidictionnaire, le Petit Larousse et le Trésor de la langue française informatisé aux articles «choix» et «autre», il y a lieu de croire, à mon avis, que cette expression, où choix est utilisé dans une acception que ne lui attribue aucun de ces ouvrages, n’est pas admise en français.

* * * * *

Et mon avion, quasiment oublié? Je l’ai pris; c’était celui de gauche. Après toutes ces années je revois encore la mine renfrognée de mon voisin : Lei è fortunata, signora. Sans doute.

J’aurais voulu ne jamais repartir.

Line Gingras

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