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La plume heureuse
30 mai 2005

Le visiteur

Il y a longtemps longtemps, dans la petite maison verte à flanc de colline, c’était la nuit; tout reposait, tout dormait. Enfin..., vous savez ce que c’est.

À cette époque – je devais avoir sept ou huit ans –, nous étions trois ou quatre à posséder chacun notre lit, à l’étage, dans la chambre des enfants. Et je m’étais levée pour aller aux toilettes. Notre maison, à l’instar de ce que j’ai vu du château de Versailles mais là s’arrête la comparaison, n’avait pas de corridor; la chambre des enfants communiquait avec la (future) salle de bains, qui donnait elle-même sur la pièce principale, par laquelle on avait accès à la chambre de mes parents. Donc j’étais aux toilettes; à ma droite, la chambre d’où je venais; devant moi, une porte ouverte sur la pièce principale.

Et dans la pièce principale, tout doucement, sans bruit, une forme blanche allait et venait, glissait.

Avait-elle des cheveux, des mains, des pieds? un visage? des ailes? Une forme blanche, c’était. Sans s’occuper de moi, sans paraître consciente de ma présence elle allait, elle venait, tranquille, inabordable, et voilà tout.

Au bout d’un moment je n’étais plus seule à la regarder : ma petite sœur s’était levée à son tour. Sans un mot, ayant fini ce pour quoi j’étais venue, je suis repartie me coucher, laissant ma sœur en tête à tête, si je puis dire, avec l’apparition.

Encore aujourd’hui, lorsque nous évoquons cette vision nocturne, inexpliquée (je ne peux que supposer une crise de somnambulisme, chez ma mère peut-être), j’ai le sentiment qu’elle m’en veut, ma sœur, un tantinet, de l’avoir abandonnée cette nuit-là.

De toute évidence nous n’avions pas été choisies, ni l’une ni l’autre, pour apporter à l’humanité en désarroi les messages d’en haut. Dès le lendemain, secrètement vexée et point trop rassurée non plus, j’ai décrété que le visiteur ne pouvait être malfaisant; il veillait sur la maison. Et nous l’avions vu par accident; il avait oublié son manteau d’invisibilité ou je ne sais quoi. N’empêche, je le trouvais bien fier, pour un ange gardien.

Mais je vous entends penser tout bas (c’est mon petit doigt qui a une oreille ultrasensible) : où veut-elle donc aboutir avec cette histoire de manifestation plus ou moins divine? Patience et longueur de temps..., nous y sommes.

Un ami m’a signalé cette faute d’accord, relevée dans un journal :

La France s’était payée une manifestation [...]

Ses filles, à qui il a montré la phrase, l’ont jugée correcte, estimant que le participe passé devait s’accorder avec le sujet, féminin singulier. Que leur a-t-on appris à l’école?

(Fausse question, mais je tenterai une réponse : à craindre le participe passé comme le Bonhomme Sept Heures, j’en ai peur.)

En réalité, le problème de l’accord n’est pas difficile à résoudre. Prenons notre ton doctoral pour faire observer d’abord, à toutes fins utiles, que nous avons ici le participe passé d’un verbe pronominal (ce qu’indique le pronom réfléchi s’); que ce participe n’est pas suivi d’un infinitif et n’entre pas dans une locution verbale (comme se rendre compte). Notons ensuite que le pronom réfléchi, outre qu’il marque la forme pronominale, remplit la fonction de complément, plus précisément de complément d’objet indirect (il indique à qui la France avait «payé» une manifestation – à elle-même, en l’occurrence) : c’est dire que le participe passé ne peut pas s’accorder avec le sujet, mais qu’il doit s’accorder, par contre, avec le complément d’objet direct, si celui-ci est placé devant le verbe. Il faut donc se demander, comme si nous ne le savions pas déjà : la France avait «payé» quoi? Mais oui, bingo, une manifestation. Le complément d’objet direct étant placé après le verbe, le participe passé reste invariable. On écrirait toutefois :

Les manifestations que la France s’était payées...

Ces prétendus bénévoles se sont payés à même la caisse. (Dans ce cas-ci, le pronom réfléchi se est lui-même complément d’objet direct.)

Ça vous paraît compliqué? Vous prisez d’autres divertissements? Vous ne vous arrêtez pas à ces vétilles? Pendant que blablabla y a des enfants qui meurent de faim? Francophones de bien des pays, l’on vous a compris; peut-être qu’une réforme de l’orthographe, un jour, viendra tout simplifier. Mais je ne sais pas s’il faut la repousser ou la souhaiter; il ne m’a confié ni message, ni mission, ni vérité éternelle, mon visiteur de l’au-delà.

Line Gingras

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14 mai 2005

Dans l'intervalle - In paradisum

Pas de nouveau billet cette semaine : j'ai perdu l'un de mes oncles. Entre le chagrin, le travail et les réunions de famille...

Entre le chagrin, le travail et les réunions de famille, disais-je donc avant de m'interrompre pour changer de paragraphe, il ne reste pas beaucoup de temps - mais tout de même assez pour lire la notice nécrologique. Or, celle-ci m'apprend une chose que, vu mon ignorance de l'évolution des usages en la matière, j'ai la naïveté de trouver un rien étrange : mon oncle, en effet, laisse dans le deuil sa soeur, feue Angéline D... (ma mère; mon père, lui, est laissé entre parenthèses).

Était-ce bien la peine de se presser d'aller la rejoindre, au ciel?

Line

5 mai 2005

C'est la fête

Bon anniversaire / Nos vœux les plus sincères / Que ces quelques fleurs / Vous apportent le bonheur / Que l’année entière / Vous soit douce et légère / Et que l’an fini / Nous soyons tous réunis / Pour chanter en chœur / Bon anniversaire

La première fois que j’ai entendu cette chanson, c’était à une fête qu’on avait organisée à l’école de rang pour l’anniversaire de l’institutrice, madame Lebel. J’avais tout juste quatre ans, et je me rappelle avoir été très impressionnée... par l’élégance du texte, je pense, nouvelle pour moi et sans doute un peu surannée aujourd’hui. Dès le lendemain je réclamais qu’on me la rechante, la gracieuse chanson d’anniversaire que l’on n’entend plus jamais.

Et qu’est-ce que j’y faisais, à cette fête, moi qui n’allais pas encore à l’école? Mes parents m’y avaient amenée, apparemment, pour que je révèle à un auditoire nombreux et admiratif les trésors de mon répertoire enfantin : La sainte Vierge s’en va chantant... – avec les gestes –, et le reste.

L’institutrice, dûment émerveillée et reconnaissante (et probablement soulagée que ce fût fini, finalement), me fit venir ensuite à son bureau, sur l’estrade, fouilla dans une grande boîte...; d’où elle retira sous mes yeux ébahis, avec un froufrou de papier protecteur, un angelot de plâtre, tout blanc, qui jouait de la mandoline.

Il avait une longue robe qui lui cachait même les pieds, les cheveux assez courts et légèrement bouclés, des mains délicates, un air méditatif... Et il jouait divinement, quoiqu’en silence. Il demeurait dans la chambre de mes parents et je n’avais pas le droit d’y toucher, c’est donc mon petit frère qui l’a cassé, bien des années plus tard; mais il a accompagné toute mon enfance, mon bel ange à la mandoline, de son vague sourire très sage.

De la fête donnée en l’honneur de la maîtresse, je me rappelle encore le groupe de musiciens et un étrange numéro où plusieurs élèves, dissimulés sous un déguisement qui me laissa pantoise, représentaient une vache – à moins que ce ne fût un cheval.

Mais bon, ce n’est pas tout; car vous seriez affreusement déçu – déçue – déçus – déçues, je le sais, si vous deviez repartir sans que j’aie abordé la question de la semaine.

Que fait-on d’un anniversaire? On le marque, on le souligne, on le fête, on le célèbre. De même pour un centenaire, lorsque ce mot est employé au sens de «centième anniversaire (d’une personne, d’un événement)» :

Célébrer le centenaire de la fondation d’une ville, de la mort de X. (Petit Robert.)

Mais peut-on aussi commémorer un anniversaire, commémorer un centenaire, comme cela se voit assez souvent?

On va bientôt commémorer le centenaire de la naissance de Sartre.

Selon les dictionnaires généraux que j’ai consultés, commémorer, c’est «marquer par une cérémonie le souvenir d’une personne, d’un acte ou d’un événement» (Trésor de la langue française informatisé) :

Commémorer une victoire, la naissance, la mort de quelqu’un. (Trésor.)

On a élevé un monument pour commémorer cette bataille. (Lexis.)

Le maire voudrait commémorer la fondation de la ville. (Multidictionnaire.)

En théorie, commémorer un anniversaire, ce serait donc marquer par une cérémonie le souvenir de l’anniversaire dont il s’agit. Situation qui ne se produit guère dans la pratique.

De fait, d’après Marie-Éva de Villers, commémorer un anniversaire est un pléonasme. Gérard Dagenais résume ainsi la question : «On commémore un événement quand on en célèbre un anniversaire.» Joseph Hanse, à son habitude, établit quelques nuances : «Le langage châtié garde à commémorer son sens propre et évite de lui donner par extension le sens de "rappeler, célébrer, fêter".» (C’est moi qui souligne.)

Commencerait-on à tolérer un certain glissement? J’ai noté un exemple troublant dans le Petit Robert, à l’article «commémoration» :

La commémoration de la fête nationale.

Et le Trésor confirme que l’évolution de la langue ne respecte pas, dans ce cas-ci comme dans bien d’autres, la logique la plus rigoureuse; il admet effectivement, par extension, le sens de «rappeler, remémorer», et celui de «célébrer, fêter» :

Commémorer un anniversaire.

Le tour n’est pas à recommander; en ce qui me concerne, je ne suis pas près de l’utiliser. Reste qu’il ne faut plus le tenir pour absolument incorrect, et que l’on peut commémorer le centenaire de la naissance de Sartre, par exemple, bien que cet emploi relève de la langue relâchée.

Il ferait beau voir que le chœur des anges soit mis à contribution...

Line Gingras

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