Le visiteur
Il y a longtemps longtemps, dans la petite maison verte à flanc de colline, c’était la nuit; tout reposait, tout dormait. Enfin..., vous savez ce que c’est.
À cette époque – je devais avoir sept ou huit ans –, nous étions trois ou quatre à posséder chacun notre lit, à l’étage, dans la chambre des enfants. Et je m’étais levée pour aller aux toilettes. Notre maison, à l’instar de ce que j’ai vu du château de Versailles mais là s’arrête la comparaison, n’avait pas de corridor; la chambre des enfants communiquait avec la (future) salle de bains, qui donnait elle-même sur la pièce principale, par laquelle on avait accès à la chambre de mes parents. Donc j’étais aux toilettes; à ma droite, la chambre d’où je venais; devant moi, une porte ouverte sur la pièce principale.
Et dans la pièce principale, tout doucement, sans bruit, une forme blanche allait et venait, glissait.
Avait-elle des cheveux, des mains, des pieds? un visage? des ailes? Une forme blanche, c’était. Sans s’occuper de moi, sans paraître consciente de ma présence elle allait, elle venait, tranquille, inabordable, et voilà tout.
Au bout d’un moment je n’étais plus seule à la regarder : ma petite sœur s’était levée à son tour. Sans un mot, ayant fini ce pour quoi j’étais venue, je suis repartie me coucher, laissant ma sœur en tête à tête, si je puis dire, avec l’apparition.
Encore aujourd’hui, lorsque nous évoquons cette vision nocturne, inexpliquée (je ne peux que supposer une crise de somnambulisme, chez ma mère peut-être), j’ai le sentiment qu’elle m’en veut, ma sœur, un tantinet, de l’avoir abandonnée cette nuit-là.
De toute évidence nous n’avions pas été choisies, ni l’une ni l’autre, pour apporter à l’humanité en désarroi les messages d’en haut. Dès le lendemain, secrètement vexée et point trop rassurée non plus, j’ai décrété que le visiteur ne pouvait être malfaisant; il veillait sur la maison. Et nous l’avions vu par accident; il avait oublié son manteau d’invisibilité ou je ne sais quoi. N’empêche, je le trouvais bien fier, pour un ange gardien.
Mais je vous entends penser tout bas (c’est mon petit doigt qui a une oreille ultrasensible) : où veut-elle donc aboutir avec cette histoire de manifestation plus ou moins divine? Patience et longueur de temps..., nous y sommes.
Un ami m’a signalé cette faute d’accord, relevée dans un journal :
La France s’était payée une manifestation [...]
Ses filles, à qui il a montré la phrase, l’ont jugée correcte, estimant que le participe passé devait s’accorder avec le sujet, féminin singulier. Que leur a-t-on appris à l’école?
(Fausse question, mais je tenterai une réponse : à craindre le participe passé comme le Bonhomme Sept Heures, j’en ai peur.)
En réalité, le problème de l’accord n’est pas difficile à résoudre. Prenons notre ton doctoral pour faire observer d’abord, à toutes fins utiles, que nous avons ici le participe passé d’un verbe pronominal (ce qu’indique le pronom réfléchi s’); que ce participe n’est pas suivi d’un infinitif et n’entre pas dans une locution verbale (comme se rendre compte). Notons ensuite que le pronom réfléchi, outre qu’il marque la forme pronominale, remplit la fonction de complément, plus précisément de complément d’objet indirect (il indique à qui la France avait «payé» une manifestation – à elle-même, en l’occurrence) : c’est dire que le participe passé ne peut pas s’accorder avec le sujet, mais qu’il doit s’accorder, par contre, avec le complément d’objet direct, si celui-ci est placé devant le verbe. Il faut donc se demander, comme si nous ne le savions pas déjà : la France avait «payé» quoi? Mais oui, bingo, une manifestation. Le complément d’objet direct étant placé après le verbe, le participe passé reste invariable. On écrirait toutefois :
Les manifestations que la France s’était payées...
Ces prétendus bénévoles se sont payés à même la caisse. (Dans ce cas-ci, le pronom réfléchi se est lui-même complément d’objet direct.)
Ça vous paraît compliqué? Vous prisez d’autres divertissements? Vous ne vous arrêtez pas à ces vétilles? Pendant que blablabla y a des enfants qui meurent de faim? Francophones de bien des pays, l’on vous a compris; peut-être qu’une réforme de l’orthographe, un jour, viendra tout simplifier. Mais je ne sais pas s’il faut la repousser ou la souhaiter; il ne m’a confié ni message, ni mission, ni vérité éternelle, mon visiteur de l’au-delà.
Line Gingras