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La plume heureuse
26 janvier 2005

Une messe en latin

Arguments; prétentions.

C’était un sublime dimanche d’octobre, ivre de soleil et de douceur. Installés à la terrasse de chez Nico, sur les Zattere, nous nous laissions envoûter, ma mère, mon père et moi, par les joyaux innombrables (innumérables, disait-on joliment au XVIe siècle) que Venise allumait dans l’eau.

Il fallut nous arracher à cette contemplation : la messe allait bientôt commencer à San Giorgio Maggiore, cette église qui est aussi une île, ou presque; un vaporetto nous y amènerait en quelques minutes. Je voulais que mes parents entendent cela : une messe toute en latin, avec chant grégorien; ce serait comme au temps de leur jeunesse...

Hélas, il arrive que la mémoire nous chagrine : cette langue, restée incompréhensible, n’évoquait pas de souvenirs heureux – l’ennui, plutôt; et un sentiment d’infériorité, à l’égard des gens « instruits », qu’une vie entière ne suffirait pas à surmonter.

Balzac relevait « l’admiration du peuple pour tout ce qu’il ne comprend pas »; dans la société où je vis, on apprécie au contraire ce que l’on saisit bien. Cela s’accompagne d’une certaine paresse intellectuelle, d’une complaisance désolante, parfois; mais c’est avec raison que l’on tolère mal ce qui est obscur. Ainsi, la langue du droit est assez connue pour son hermétisme; si je ne me trompe, un juge célèbre aurait néanmoins déclaré, en substance, qu’un texte juridique doit être intelligible pour le simple mortel...

Que voilà, à mon avis, un homme sans prétention et qui parlait d’or. Mais vous trouverez que le hasard a l’humeur commode : c’est justement de ce mot, prétention, que je voulais vous entretenir aujourd’hui.

Je lisais en effet, il y a quelques semaines, que la Cour suprême a réfuté les prétentions de ceux qui s’opposent à ce qu’il semble convenu d’appeler « le mariage gai »; pour les groupes en question, dont l’Église catholique, le mariage ne peut être que l’union d’un homme et d’une femme.

Qu’est-ce à dire? que les opposants, ou les avocats qui les représentaient, se sont montrés d’une prétention insupportable en affichant des prétentions ridicules? ou que la Cour a refusé de leur accorder les droits, les avantages, les honoraires qu’ils réclamaient?

Mais non, il ne s’agit nullement de cela. Les opposants au mariage de conjoints de même sexe, par l’entremise de leurs avocats, ont formulé des arguments que la Cour a réfutés, voilà tout. Des arguments, pas des prétentions.

À propos, permettez-moi cette petite note historique pour agrémenter le débat : à Venise on célébrait jadis avec faste, le jour de l’Ascension, les épousailles du doge et de la mer; or, en italien, mare est un mot masculin...

Line Gingras

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